2011-11-13

Yronde-et-Buron (Puy-de-Dôme) _ 2011-07-24

On file vers Marseille sur l'autoroute A75. On est parti le matin
de Basse-Normandie. On passe à hauteur de Clermont-Ferrand et on attend
de quitter l'autoroute pour voir Yronde-et-Buron. C'est ici qu'on voudrait manger, dormir peut-être, même si rien n'a été repéré ni réservé.

Il n'y aura rien à Yronde-et-Buron, et ce sera finalement à Issoire,
à une quinzaine de kilomètres plus au sud, qu'on dormira. On dormira dans un hôtel-restaurant curieux, sorte de bâtisse 1900 remodelée, avec
en ajout sur la façade principale un auvent métallique pareil à celui d'une station-service de l'après-guerre. Le collage est improbable mais
il n'est pas sans effet, avec les grandes vitres aux ferrures métalliques, dans l'agencement vintage de l'ensemble. Le patron peu disert, artefact désuet lui-aussi, ne nous dira rien de plus qu'une date de construction (on a oubliée). On songe qu'il s'agit là d'un témoignage de ce début des années cinquante où l'hôtel fonctionnait bien, où la ville d'Issoire encore placée sur la route principale se dotait, comme toutes les villes grandes ou petites en ce début des Trente glorieuse, de signes
de modernité gonflés de futur et d'avenir. Le futur serait radieux.
Le témoignage est presque dérisoire, mais on lui garde une attention particulière : les deux poteaux et le portique métalliques disproportionnés.

Yronde-et-Buron, comme le nom l'indique (il a fait rire), se compose
de plusieurs villages, dont les deux principaux : Yronde et
Buron ; le premier avec son église, le premier un peu plus grand
que le second ; le second avec sa chapelle et les ruines de son château comme sorti, tel qu'on peut le lire ici ou là, du rocher basaltique
sur lequel il fut bâti. Les ruines sont impressionnantes, les maisons rustiques, les rues refaites et le panorama magnifique. Dans la chapelle de Buron, on trouve une Vierge à l'Enfant et, peinte au plafond,
la légende du sanguinaire sire Robert de Buron, c'est-à-dire quatre peintures accompagnées d'un texte bref et édifiant.

Il est raconté, en résumé donc, que Robert sire de Buron était un être
des plus odieux, qu'il prenait plaisir au crime, qu'il terrorisait
son pays et ses habitants, à tel point que ceux-ci le surnommèrent
le Garou. Peut-être fut-il véritablement, mais le texte ne le dit pas, moitié homme moitié loup, ayant les nuits de pleine lune le pouvoir
de se métamorphoser, reprenant forme humaine le jour. Toujours est-il,
il fut surnommé le Garou de Buron.

Une fois, et c'était au début d'un après-midi d'été, Robert chevaucha
à la tête d'une de ses troupes de maraudeurs, sans but. Ils ralentissaient ici, s'arrêtaient là, repartaient à bride abattue, dévalaient une pente, traversaient un champ sous le regard apeuré des paysans, laissaient boire les chevaux à tel ruisseau, pissaient contre tel arbre. Ils buvaient
le vin qu'ils avaient emporté. Ils avaient chaud et ils transpiraient
sous leurs armures en cuir. Au bout d'un moment, ils firent une nouvelle halte. Ils se reposèrent, mangèrent du jambon et firent un somme,
certains ronflèrent.

Allongé dans l'herbe, dans un demi sommeil, au moment où une abeille frôlait son visage, une étincelle traversa l'esprit de Robert. Elle embrasa sa cervelle instantanément. Il se releva, hurla comme un possédé, sonna le rappel et grimpa sur son cheval qui, paraît-il, était noir.
Il partit couché sur la bête, bientôt suivi de sa troupe.

Il fonçait et ses compagnons avec lui vers le monastère accroché
de l'autre côté, sur l'autre pente. On attrapa une jeune paysanne
au passage. On lui ficela le haut du corps et on la posa à califourchon sur la croupe d'un cheval. Elle criait. On l’assomma avec un bâton noueux. Elle tomba lentement sur le côté. Il fallut alors la passer à l'avant,
sur le garrot, et la tenir fermement. On repartit au galop. Sa tête remuait d'avant en arrière.

Arrivés au monastère, grisés par la cavalcade, l'air, le vin surtout, Robert et ses hommes jetèrent la paysanne à terre et débutèrent le saccage hardiment. On brisa des prie-Dieu, on saucissonna les cierges à l'épée.
On tirait à l'arbalète dans les charpentes. La cervelle de Robert était
en flammes, elle bouillonnait, sa colère immense. Avec ses hommes, il tua les moines un à un, huit en tout, et massacra le prieur après eux. Celui-ci priait pour ses frères, et pour lui-même. Il regardait le Christ en croix accroché au mur, ses grands yeux clairs étaient mouillés
de larmes. Une larme coulait sur sa joue rosie - on aurait cru voir
une statuette de plâtre peinte - quand Robert le prit fermement par le col et dans le même mouvement, d'une main droite féroce, lui trancha la gorge. Robert poussa un cri de bête. Le sang très rouge se mit à couler entre
les grandes dalles.

A la rapine et au vol, Robert venait d'ajouter le meurtre. Mais Robert, titubant, hirsute, las et ivre, dégoulinant de sueur et maculé de sang, ajouta à la rapine, au vol et au meurtre, le sacrilège : il prit pour table le Saint Autel, mangea et but dessus.

Avec ses compagnons, hagards autant que lui, Robert continuait de boire, de manger, de se remplir la panse de vin, de charcuteries, de pain.
On chantait, on dansait, on s'épaulait pour ne pas tomber. On haranguait les autres, debout sur l'autel, les bras en l'air, une bouteille de vin dans une main, un bout de cierge dans l'autre. On avait oublié la paysanne dans l'herbe fleurie du cloître, des petits lapins blancs s'étaient approchés. Robert roulait des yeux au ciel. Le temple résonnait de leurs cris. On sonna les cloches. Il était tard, mais c'était l'été et le jour se prolongeait, la nuit tardait à venir. Alertés par ce vacarme d'enfer, les habitants des environs et les moines convers s'étaient approchés.
Ils restaient à distance, derrière les arbres, derrière les haies.
Un des maraudeurs renversa un cierge, les prie-Dieu qu'on avait brisés s'enflammèrent aussitôt. Très vite, toute l'abbatiale fut la proie
des flammes.

Peu après, un orage éclata, aussi soudain que violent : des éclairs,
le tonnerre, des hallebardes tombèrent. Et il est dit qu'à ce moment-là Robert, poussé par une voix impérieuse, dut monter son cheval et fuir
avec sa troupe épouvantée. Il disparut, la bouche grande ouverte, avalant, recrachant de l'air et de l'eau, sans qu'un cri ne s'entende dans la nuit. Il est dit qu'il disparut et sa troupe avec lui et qu'on ne les revit plus. Mais il est aussi dit par ailleurs que, cette nuit-là, Robert trouva refuge dans son château et que les réjouissances se poursuivirent
avec ses compagnons jusqu'à l'aube exactement. Ou bien il est dit
que Robert, après les méfaits de cette folle journée et après avoir regagné son repaire, vit éclater un orage comme on n'en avait jamais vu
de mémoire d'homme, que la foudre incendia son château, qu'il dut fuir avec ces compagnons et qu'on ne les revit plus - ce château ruiné 
qui semble aujourd'hui surgir du rocher basaltique sur lequel
il fut jadis construit.
 


yronde et buron
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