2012-01-04

La Grotte Rolland (Marseille) _ 2011-07-28

A Marseille, le toponyme Grotte Rolland désigne plusieurs choses :
la grotte logée à mi-pente du massif de Marseilleveyre qui donne son nom
à l'ensemble, la falaise sous cette grotte, le boulevard qui monte de ce côté du massif, un café au début de ce boulevard, un groupe H.L.M.,
une école à proximité, deux ou trois plages minuscules et enfin aujourd'hui peut-être tout ce faubourg pris dans l'amorce d'une gentrification - comme le laissent à penser les annonces des agences immobilières, quelques collectifs neufs et proprets, quelques architectures modernes adjointes à des maisons style années 20,
un restaurant de sushis.

Nous le savons, nous aurions pu habiter ce groupe H.L.M. et nous aurions pu habiter ce sentiment de nous tenir aux marges de la ville - puisque ici la route qui longe la côte se termine en cul-de-sac à Callelongue, il faut alors faire demi tour ou prendre un bateau ou monter encore à pied
sur le massif et se perdre - et nous aurions pu habiter ce sentiment de nous tenir au bord de cette grande présence plate, cette mer. Ce pouvoir de regarder les îles au large, de deviner la cité, ses hauteurs et
sa Vierge, ce pouvoir de regarder les ferry se croiser, partir et revenir, dans la lumière du soleil couchant, sur une ligne tendue.

Nous sommes ici, sur la plage, bronzés comme des indiens, presque nus
et nous jouons. On pêche. On se baigne. On mange. On boit des sodas.
On se bagarre. On est presque sauvage. Et nous aimerons aussi sur cette plage minuscule. A une heure improbable, Malika, plus sauvage que nous, nous embrassera. L'air sera doux, le bruit des vagues minuscule.
Nous nous embrasserons, la brume et la lumière seront comme une gaze au-dessus de la mer et des îles. Un avion très haut tracera une ligne. Nous aimerons passionnément Malika, ses jambes nues, infiniment soyeuses et dorées, ses cheveux huilés, parfumés d'Orient.

Un jour, nous sommes montés là-haut. Il pleuvait. Le temps gris, la plage nous repoussaient. C'était la première fois du mois de juillet. Et nous
en avions marre du porche. Nous avions treize ou quatorze ans, nous étions une petite bande, sept ou huit. Quelques bières chipées dans le frigo
des parents traînaient dans les sacs à dos. Un briquet, un paquet de clopes traînaient dans la poche de David ou de Rabah. Les filles étaient avec nous et nous tenions Malika par la main. L'idée était simple. L'idée était de monter jusqu'à la grotte, y passer l'après-midi, faire un feu pourquoi pas, regarder la carrière et la ville en bas, fumer des clopes, boire des bières, casser les bouteilles vides.

Quelques uns des garçons montent torses nus, les épaules, la peau mouillées, fiers de gesticuler. Sur le chemin, sous la pluie, dans
la tiédeur de l'été, la garrigue, la terre et les cailloux, les arbres prennent cette odeur si particulière. Elle nous enveloppe, elle nous
grise sans qu'on le sache très bien.

Arrivés en surplomb de la grotte, et avant qu'on emprunte tous le petit pas d'escalade pour y descendre, face à la vue imprenable, David se met
à parler de Rolland, ce mandrin du 18e siècle qui a donné, selon la légende locale, son nom à la grotte. La légende, colportée ici ou là, raconte qu'avec ses camarades, réunis par la rapine et la contre-bande qu'ils pratiquaient dans la ville et les environs, il usait de cette grotte comme repaire et cache fidèles ; il est dit aussi que la grotte fait cent mètres de profondeur. On connaît tous cette histoire qu'on nous racontait à l'école. C'est le nom de notre école, c'est aussi le nom
de notre quartier. David continue de parler, il ajoute, il invente
des épisodes à la légende du mandrin marseillais, il rêve d'une campagne
de rapine dans les quartiers bourgeois de la ville. Il lève les bras,
il est torse nu, il gesticule, la ville est là, sous nos yeux.
Il ne pleut presque plus. Rabah commence à chanter. Et ensemble,
avec David, ils se mettent à chanter cette Complainte de Mandrin
qu'on nous apprenait aussi à l'école.

Nous étions vingt ou trente
Brigands dans une bande,
Tous habillés de blanc
A la mode des, vous m'entendez,
Tous habillés de blanc
A la mode des marchands.


La première volerie
Que je fis dans ma vie,
C'est d'avoir goupillé
La bourse d'un, vous m'entendez,
C'est d'avoir goupillé
La bourse d'un curé.


J'entrai dedans sa chambre,
Mon Dieu, qu'elle était grande,
J'y trouvai mille écus,
Je mis la main, vous m'entendez,
J'y trouvai mille écus,
Je mis la main dessus.


J'entrai dedans une autre
Mon Dieu, qu'elle était haute,
De robes et de manteaux
J'en chargeai trois, vous m'entendez,
De robes et de manteaux
J'en chargeai trois chariots.


Je les portai pour vendre
A la foire de Hollande
J'les vendis bon marché
Ils m'avaient rien, vous m'entendez,
J'les vendis bon marché
Ils m'avaient rien coûté.


Ces messieurs de Grenoble
Avec leurs longues robes
Et leurs bonnets carrés
M'eurent bientôt, vous m'entendez,
Et leurs bonnets carrés
M'eurent bientôt jugé.


Ils m'ont jugé à pendre,
Que c'est dur à entendre
A pendre et étrangler
Sur la place du, vous m'entendez,
à pendre et étrangler
Sur la place du marché.


Monté sur la potence
Je regardai la France
Je vis mes compagnons
A l'ombre d'un, vous m'entendez,
Je vis mes compagnons
A l'ombre d'un buisson.


Compagnons de misère
Allez dire à ma mère
Qu'elle ne m'reverra plus
J' suis un enfant, vous m'entendez,
Qu'elle ne m'reverra plus
J'suis un enfant perdu.



boulevard de la grotte rolland marseille

groupe grotte rolland marseille

2011-12-16

La Grotte Rolland (Marseille) _ 2011-07-27

Nous sommes à Marseille, au pied du massif de Marseilleveyre, nous montons vers la Grotte-Rolland. C'est là notre objectif : dénicher cette grotte - ce que nous ferons, après une petite hésitation sur le sentier, derrière un grand figuier.

Nous sommes là, à mi-chemin, mis en jambes, et on grimpera encore pour découvrir au sommet du massif le point de vue maximal sur la ville, la mer, les îles ; puisqu'il s'agit bien ici de veyre Marseille. Arrivés au sommet, dans le panorama qui s'ouvre soudain au sud, dans cette lumière qui écrase comme dans une de ces toiles de Cézanne peintes à L'Estaque,
la vision d'une île nous ravira plus qu'une autre : l'Île Calsereigne ou Plane. C'est une dalle qui surnage, une plateforme parfaitement rabotée, bâtie avec une seule marche, au trait de côte quasi régulier, comme si une lame experte était venue retirer à l'horizontal tout le relief d'un rocher aussi mou qu'une motte de beurre pour n'en garder qu'une tranche fine.
A la vue de cette île, au nom si beau, Île Plane, à la platitude si particulière, étrange, sans rapport aucun avec ce que nous venons de grimper et le relief des autres îles de l'archipel de Riou, nous pensons confusément au Rivage des Syrtes. On revoit un rocher au milieu des flots, sous un grand soleil, avec des oiseaux qui en jaillissent et y retombent et donnent l'effet d'un jet d'eau se brisant dans la lumière.

Ensuite, nous sommes redescendus, en quarante ou cinquante minutes,
par le Col des Chèvres, directement à la voiture laissée au bout
d'une rue sans issue.

la grotte rolland à marseille

2011-11-13

Yronde-et-Buron (Puy-de-Dôme) _ 2011-07-24

On file vers Marseille sur l'autoroute A75. On est parti le matin
de Basse-Normandie. On passe à hauteur de Clermont-Ferrand et on attend
de quitter l'autoroute pour voir Yronde-et-Buron. C'est ici qu'on voudrait manger, dormir peut-être, même si rien n'a été repéré ni réservé.

Il n'y aura rien à Yronde-et-Buron, et ce sera finalement à Issoire,
à une quinzaine de kilomètres plus au sud, qu'on dormira. On dormira dans un hôtel-restaurant curieux, sorte de bâtisse 1900 remodelée, avec
en ajout sur la façade principale un auvent métallique pareil à celui d'une station-service de l'après-guerre. Le collage est improbable mais
il n'est pas sans effet, avec les grandes vitres aux ferrures métalliques, dans l'agencement vintage de l'ensemble. Le patron peu disert, artefact désuet lui-aussi, ne nous dira rien de plus qu'une date de construction (on a oubliée). On songe qu'il s'agit là d'un témoignage de ce début des années cinquante où l'hôtel fonctionnait bien, où la ville d'Issoire encore placée sur la route principale se dotait, comme toutes les villes grandes ou petites en ce début des Trente glorieuse, de signes
de modernité gonflés de futur et d'avenir. Le futur serait radieux.
Le témoignage est presque dérisoire, mais on lui garde une attention particulière : les deux poteaux et le portique métalliques disproportionnés.

Yronde-et-Buron, comme le nom l'indique (il a fait rire), se compose
de plusieurs villages, dont les deux principaux : Yronde et
Buron ; le premier avec son église, le premier un peu plus grand
que le second ; le second avec sa chapelle et les ruines de son château comme sorti, tel qu'on peut le lire ici ou là, du rocher basaltique
sur lequel il fut bâti. Les ruines sont impressionnantes, les maisons rustiques, les rues refaites et le panorama magnifique. Dans la chapelle de Buron, on trouve une Vierge à l'Enfant et, peinte au plafond,
la légende du sanguinaire sire Robert de Buron, c'est-à-dire quatre peintures accompagnées d'un texte bref et édifiant.

Il est raconté, en résumé donc, que Robert sire de Buron était un être
des plus odieux, qu'il prenait plaisir au crime, qu'il terrorisait
son pays et ses habitants, à tel point que ceux-ci le surnommèrent
le Garou. Peut-être fut-il véritablement, mais le texte ne le dit pas, moitié homme moitié loup, ayant les nuits de pleine lune le pouvoir
de se métamorphoser, reprenant forme humaine le jour. Toujours est-il,
il fut surnommé le Garou de Buron.

Une fois, et c'était au début d'un après-midi d'été, Robert chevaucha
à la tête d'une de ses troupes de maraudeurs, sans but. Ils ralentissaient ici, s'arrêtaient là, repartaient à bride abattue, dévalaient une pente, traversaient un champ sous le regard apeuré des paysans, laissaient boire les chevaux à tel ruisseau, pissaient contre tel arbre. Ils buvaient
le vin qu'ils avaient emporté. Ils avaient chaud et ils transpiraient
sous leurs armures en cuir. Au bout d'un moment, ils firent une nouvelle halte. Ils se reposèrent, mangèrent du jambon et firent un somme,
certains ronflèrent.

Allongé dans l'herbe, dans un demi sommeil, au moment où une abeille frôlait son visage, une étincelle traversa l'esprit de Robert. Elle embrasa sa cervelle instantanément. Il se releva, hurla comme un possédé, sonna le rappel et grimpa sur son cheval qui, paraît-il, était noir.
Il partit couché sur la bête, bientôt suivi de sa troupe.

Il fonçait et ses compagnons avec lui vers le monastère accroché
de l'autre côté, sur l'autre pente. On attrapa une jeune paysanne
au passage. On lui ficela le haut du corps et on la posa à califourchon sur la croupe d'un cheval. Elle criait. On l’assomma avec un bâton noueux. Elle tomba lentement sur le côté. Il fallut alors la passer à l'avant,
sur le garrot, et la tenir fermement. On repartit au galop. Sa tête remuait d'avant en arrière.

Arrivés au monastère, grisés par la cavalcade, l'air, le vin surtout, Robert et ses hommes jetèrent la paysanne à terre et débutèrent le saccage hardiment. On brisa des prie-Dieu, on saucissonna les cierges à l'épée.
On tirait à l'arbalète dans les charpentes. La cervelle de Robert était
en flammes, elle bouillonnait, sa colère immense. Avec ses hommes, il tua les moines un à un, huit en tout, et massacra le prieur après eux. Celui-ci priait pour ses frères, et pour lui-même. Il regardait le Christ en croix accroché au mur, ses grands yeux clairs étaient mouillés
de larmes. Une larme coulait sur sa joue rosie - on aurait cru voir
une statuette de plâtre peinte - quand Robert le prit fermement par le col et dans le même mouvement, d'une main droite féroce, lui trancha la gorge. Robert poussa un cri de bête. Le sang très rouge se mit à couler entre
les grandes dalles.

A la rapine et au vol, Robert venait d'ajouter le meurtre. Mais Robert, titubant, hirsute, las et ivre, dégoulinant de sueur et maculé de sang, ajouta à la rapine, au vol et au meurtre, le sacrilège : il prit pour table le Saint Autel, mangea et but dessus.

Avec ses compagnons, hagards autant que lui, Robert continuait de boire, de manger, de se remplir la panse de vin, de charcuteries, de pain.
On chantait, on dansait, on s'épaulait pour ne pas tomber. On haranguait les autres, debout sur l'autel, les bras en l'air, une bouteille de vin dans une main, un bout de cierge dans l'autre. On avait oublié la paysanne dans l'herbe fleurie du cloître, des petits lapins blancs s'étaient approchés. Robert roulait des yeux au ciel. Le temple résonnait de leurs cris. On sonna les cloches. Il était tard, mais c'était l'été et le jour se prolongeait, la nuit tardait à venir. Alertés par ce vacarme d'enfer, les habitants des environs et les moines convers s'étaient approchés.
Ils restaient à distance, derrière les arbres, derrière les haies.
Un des maraudeurs renversa un cierge, les prie-Dieu qu'on avait brisés s'enflammèrent aussitôt. Très vite, toute l'abbatiale fut la proie
des flammes.

Peu après, un orage éclata, aussi soudain que violent : des éclairs,
le tonnerre, des hallebardes tombèrent. Et il est dit qu'à ce moment-là Robert, poussé par une voix impérieuse, dut monter son cheval et fuir
avec sa troupe épouvantée. Il disparut, la bouche grande ouverte, avalant, recrachant de l'air et de l'eau, sans qu'un cri ne s'entende dans la nuit. Il est dit qu'il disparut et sa troupe avec lui et qu'on ne les revit plus. Mais il est aussi dit par ailleurs que, cette nuit-là, Robert trouva refuge dans son château et que les réjouissances se poursuivirent
avec ses compagnons jusqu'à l'aube exactement. Ou bien il est dit
que Robert, après les méfaits de cette folle journée et après avoir regagné son repaire, vit éclater un orage comme on n'en avait jamais vu
de mémoire d'homme, que la foudre incendia son château, qu'il dut fuir avec ces compagnons et qu'on ne les revit plus - ce château ruiné 
qui semble aujourd'hui surgir du rocher basaltique sur lequel
il fut jadis construit.
 


yronde et buron
buron
yronde et buron église de buron

2011-11-11

Buron (Coëx, Vendée) _ 2011-07-17

On est sur cette route départementale D6. Après un rond-point, on remarque un panneau. On s'arrête. On s'engage à pied dans la direction indiquée. Après une centaine de mètres, la petite route se termine sur un merlon
de terre. Il y a une voiture garée et autre chose (on se rappelle
une présence, mais on ne sait plus quoi - peut-être une remorque,
un engin volumineux, assez vieux).
Le lieu est étrange, on ne comprend pas bien sa configuration
sur le moment. Avec la carte, on comprendra que la déviation du hameau
a laissé deux petits tronçons de route menant sur rien ou presque rien - puisqu'il n'y a jamais rien. Le hameau est là : des maisons basses,
des champs, des arbres, une première route, une seconde route plus loin avec son rond-point de raccordement, deux perspectives tronquées,
un merlon envahi d'herbes. On se rappelle de grands arbres.


buron coex vendee
buron coex vendee